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La Fille qui n'aimait pas ses seins

Eloge funèbre

L' éloge funèbre que cet homme consentit à sa femme défunte fut sublime.
Il était fier de l'avoir assistée jusqu'à la fin.
Ce jour-là, il avait les larmes aux yeux, sa douleur n'était nullement feinte, quoique mise en scène théâtralement.
"Comédien ? mais c'est moi-même que je joue" ...
Ce discours grandiose, il avait demandé à toutes ses maîtresses précédentes qui avaient fait carrière dans son parti de le prononcer avec lui.
Même la présidente du Parti, une femme remarquable, obtempéra. Tant la conviction, et les paradoxes de cet homme étaient forts. Ainsi, tous les amis de la dame, et les siens propres, lui recréèrent, l'espace d'une mise en bière, une personnalité quasi divine. Comme c'était beau ! De douce et effacée, presqu'inexistente, la "bonne poire" qui attendait patiemment et les yeux secs (pour faire plus stoïque) le retour de l'Elu, du Fils tardif à la maison, elle devenait les cellules grises du mouvement, un havre de paix, une hôtesse d'accueil qui au grand moment révélait sa dimension universelle ... sa lutte de femme et de citoyenne du monde.
La Gorgone et la harpie qui avait lacéré de son amour infini un fils prodigue apparaissait sous les traits de fer d'une défenderesse des droits des femmes et autres opprimés. Des livres posthumes étaient apparus, qu'il avait dactylographiés sagement les nuits de veille au bout du couloir, à l'hôpital ... Le pauvre homme avait la larme à l'oeil, la main sur le coeur, la mine égarée des suppliciés ...
Il avait l'air perdu et donnait l'impression d'être mort lui aussi. Quelquechose en lui s'était éteint. Il n'aurait plus jamais ce même regard azur, empreint de légérète et de bonté.
Ce regard, je l'avais sans doute rêvé ......
Il avait les traits tirés, car il avait encore moins dormi que d'habitude
. Un peu honteux, il annonçait la couleur, qui le rongeait de remords.
Lui seul savait ... ou peut-être ne savait-il pas encore ...
Bien sûr, le message de désespoir finissait par une pointe d'espoir : la Vie, la vie qu'elle avait tant aimé, dont elle lui avait fait don en toutes circonstances (sauf la mienne) continuerait ... il aimerait à nouveau ...
Il devait aimer, c'était le message d'adieux de la femme éternelle qui absolvait d'avance ce qui s'était déjà passé ...
Tout ce que le quartier comptait d’adhérents, de militants, d'artistes, d'hommes politiques et l'innombrable famille à rallonges était venu assister aux funérailles.
Une femme d'un certain âge, aux lunettes noires, se montra un peu à l'écart, très digne dans la douleur où pointait quelquechose comme une petite joie sans conséquence, la Joie d'une soumise qui gagne enfin quelquechose (croit-elle).
Lorsque ce fut fini, notre Lancelot éploré s’attarda encore un peu sur la tombe de sa femme, satisfait du travail accompli, de la parole donnée et enfin rendue pour l'éternité.
Il regarda une dernière fois l’endroit où reposait sa femme qui avait tant souffert par lui, et que, pour rien au monde, il n'aurait abandonnée de son vivant.
Satisfait de ses pensées, assurément les plus nobles au monde, il fit un petit signe discret à l'assistante aux lunettes, qui se tenait prête.
Cela faisait plus de 6 ans que leur relation évoluait dans l'ombre. Moi, j'avais été éjectée par cette dame soumise entre des gardes, accusée de toutes sortes de choses.
Le temps devait m'apprendre qu'on ne pardonne rien à la vérité,
quand la société entière attend le mensonge.

Deux ans plus tard, signe étrange, le Lancelot ne revint pas sur la tombe de sa Dame. Et pas même un "Joyeux anniversaire, mon amour ..." ne fut prononcé.
Les ossements de la momie crissaient-ils à l'intérieur du squelette de l'homme, ou s'étaient-ils dissolus force aux étreintes devenues conjugales ?
La femme aux lunettes noires, se parait petit à petit des vêtements, des atours, et des vertus de la précédente, qui avait été oubliée ...
Un regard pervers, une mine de Juste, et la main de fer de la guillotine pour l'innocent. La laideur n'a pas de pitié pour la Beauté. Tout aussi insipide et insignifiante que la morte, elle pouvait se mouler sans problème dans le cadavre. Comme moi, qui n'avait jamais existé, mais observais tout cela avec détachement ...
Après tout, tout cela me concernait aussi, d'une certaine façon.
Même si je n'étais qu'un témoin gênant qui avait été éliminié de la scène repeinte en beau pour le public....
...
Je savais tout cela ... et je savais aussi que c'était une erreur,
une erreur terrible et sans nécessité qui entachait la course de l'univers,
le monde des possibles.
...
Car il a été dit, et je m'en souviens qu' :
"Un autre monde est possible,
et il est dans celui-ci" (Eluard) -

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